30 décembre 2023

LE MENDIANT DE LA BOULANGERIE / J.Libert

 




 
    En descendant du train, elle a relevé le col de sa parka et pénètre dans la boulangerie de son quartier, paradis d’où s’exhalent des odeurs familières de viennoiseries qui la mettent en appétit. Elle renoue avec la mémoire olfactive des lieux de son enfance. Ses lunettes s’embuent à cause de la différence de température entre l’air chaud de l’intérieur et la froidure hivernale. Elle les essuie minutieusement tout en salivant à la vue des dizaines de gâteaux colorés en rose fraise, en vert pistache, en marron café ou chocolat.  Et voilà, elle y voit déjà plus clair !
 
    Sur le pas de la porte, comme tous les dimanches, l’homme est là, assis en tailleur. Il porte un anorak de marque, d’un gris délavé, sans doute un héritage de vêtements délaissés après avoir satisfait un caprice d’achat. Au travers de son jean effiloché en entier au niveau des genoux émergent quelques uns de ses poils bien noirs laissant supposer qu’il n’a pas 50 ans ; en lui jetant un rapide coup d’œil, c’est l’âge approximatif qu’on peut lui donner.
 
    Ce matin, avec -3 degrés, une petite gelée blanche recouvre les massifs situés devant le commerce. Pour se protéger, notre héros du froid a rabattu sa capuche et croise ses bras sur sa poitrine, les mains cachées sous ses aisselles tièdes.
 
    Il ne quémande pas ; il regarde chacun aller et venir le long du trottoir, entrer et sortir de la boulangerie, les bras chargés de baguettes et de gâteaux du jour. L’homme n’est pas triste, pas renfrogné, semble même prendre grand plaisir à suivre du regard les évolutions des uns et des autres comme si personne ne lui était étranger ou indifférent. Avec un demi sourire au coin des lèvres, à ceux qui lui disent bonjour, il répond par un signe de tête appuyé et déférent.
 
    On se demande si on ne lui ferait pas affront en déposant de la monnaie dans sa sébile tant il semble attendre quelque chose d’un autre ordre.
 


4 commentaires:

  1. Il n'y a pas plus noble qu'un mendiant qui ne quémande pas. J'aime cette histoire. Meilleurs voeux, J.Libert

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  2. La véritable richesse de la vie se mesure à la chaleur humaine partagée.

    Keremma

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  3. Un très beau récit, à la mesure de ce que vous "nous" écrivez depuis quelques mois !
    Merci !

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