Jules s'était levé du pied gauche. Trois cafés successifs avaient à peine suffi pour lui faire ouvrir les yeux. Une furieuse envie de se recoucher le taraudait. Pourtant, il savait qu'il devait rester éveillé...et non seulement il le devait, mais il devait aussi se remettre à ce nouveau roman que son éditeur réclamait à grands cris.
Il y pensait depuis des jours, des semaines. Il avait cherché, cherché...sans relâche. Il avait actionné tous les rouages de son cerveau, toutes les manettes de son esprit, tous les mécanismes de son imagination ...rien. Il pédalait à vide. Rien ne venait. Ou alors il écrivait deux pages puis les jetait le lendemain. Il avait beau caresser sa barbe et son chat, l'idée de départ se refusait à lui. Jamais, jusque là, un livre ne lui avait donné autant de fil à retordre.
Las et désespéré, il posa son stylo sur le bureau et ouvrit, au hasard, le vieux dictionnaire qu'il gardait toujours à portée de main. Était-ce la fatigue ? Ses yeux papillotants ? Il lui sembla soudain que les pages s'animaient. Les colonnes de caractères gris avaient miraculeusement laissé la place à des images en couleurs...à du vert, du rouge, du jaune.
C'était un paysage de campagne sous la pluie. Un jour de septembre sans doute, peut-être autour de l'équinoxe. Une fillette empruntait un chemin dont on ne voyait pas la fin...un chemin qui semblait mener très loin, au bout du monde. Un chien gris la regardait s'éloigner, sous les cris des oiseaux qui volaient haut, dans les rayons dorés du soleil levant.
Jules fixa un moment la montgolfière multicolore qui paraissait attirer à la fois les regards de la fillette et ceux de l'animal. Il repensa au délai que lui avait fixé l'éditeur : un peu moins de trois mois. Il saisit alors son crayon, et retrouvant d'un coup son élan créateur, il inscrivit en haut d'une feuille le titre qui venait, comme un flash, de lui traverser l'esprit :
"Le tour du monde en 80 jours".
Pas tellement plus difficile que de finir cet ouvrage à temps, pensa-t-il...Croyons en l'impossible...