08 octobre 2022

Trafic / K

 

Il y a toujours quelque part quelqu’un à soudoyer.

Voilà ce que se disait in petto Charles Loquosme en reposant la théière encore fumante. La veille, il avait conclu avec succès une enquête complexe et délicate. 

Soudoyer, dans l’esprit de celui qui soudoie, n’est pas dilapider. Soyons sérieux.

C’est un peu, toutes proportions gardées, ce que vit et cherche l’exploitant agricole, l’ex-agriculteur ex-paysan, avec les saisons, même s’il n’y en a plus. Il faut en effet semer pour récolter. Eternel -plutôt que sempiternel- cycle toujours recommencé sauf en cas de « plan social ».

Mais brisant là cette parenthèse sociale, Loquosme se reprit et, poursuivant sa réflexion, il étendit son analyse : oui, il y a toujours quelque part sur la planète quelqu’un à soudoyer, que ce soit en Belgique, au Pérou, à Noirmoutier comme à Bologne, et même ailleurs, ici ou là.

Et au moment le plus critique, lorsque l’on se dit, quelque peu découragé, presque défait que les pistes suivies sont des impasses, lorsque l’on pose un regard presque absent sur le tapis du bureau qui contrairement à sa pensée s’effiloche, alors…inexplicablement ou presque, l’idée jaillit et tout s’assemble, sans forcément se ressembler. 

C’était bien ce qui était advenu dans « La mystérieuse affaire de la pomme de terre » qu’on avait fini par lui confier car tous les enquêteurs pataugeaient dans la purée.  On disait « la pomme de terre », il y en avait plus d’une évidemment, facilité de langage comme on avait pu parler à l’époque de « la vache folle ».

Un trafic de pommes de terre jaunes peintes à la main par des chinois dans des ateliers clandestins avait été découvert, et il avait fallu un certain temps pour comprendre que paradoxalement il s’agissait d’un réseau de blanchiment.

Un scandale énorme au retentissement fracassant. Manifestations. Le syndicat des friteuses dans la rue.

Ce fut en reliant à l’affaire un fait divers apparemment anodin que Loquosme comprit tout.   

Une bagarre, des coups de feu, une nuit et, dans l’article qui relatait les faits, presque incidemment on relevait au chapitre des rumeurs : « Je me suis fritté avec Seb, parce qu’il en manquait dans l’enveloppe. » (Les prénoms n’avaient pas été changés.)

Pour une fois, deux plus deux, ça faisait cinq et Loquosme, plus solitaire que jamais car il fallait être extrêmement prudent et discret, amassa les indices qui permirent de régler « l’affaire de la pomme de terre » par un coup de filet géant.

CQFD, il y a toujours quelqu’un à soudoyer, mais il faut être rigoureux, sinon…

Satisfait du devoir accompli, Charles Loquosme termina sa tasse de thé.

11 commentaires:

  1. Si maintenant, la pomme de terre, plat du pauvre, fait l'objet de trafic où allons-nous mon bon monsieur ? Heureusement Loquosme est là pour sauver la mise :)

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    1. Ma bonne dame c'est quand même la crise qui est de mise ;-)

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  2. Je pense au bouquin : Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates
    jama

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    1. Oh, Jamadrou, tu me remets en tête ce livre que j'ai pris grand plaisir à lire :) merci !

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    2. Je ne peux saisir le lien, n'ayant pas lu cet ouvrage !

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  3. ;-) la patate c'est sacré, faut pas y toucher !!!!

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    1. Tu aurais dû conseiller ces malfrats et autres trafiquants ;-)
      Mais le sacré, ça leur parlerait ?

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  4. Sacrée affaire ! Je ne savais pas que les chinois pratiquaient le blanchissement. Comment va t-on les reconnaitre maintenant ?

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    1. C'est bien là qu'est l'ultime ruse qui nous met au supplice pour les reconnaître.
      ;-)

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  5. Purée ! quelle imagination, à qui se fier si les chinois blanchissent en jaune ?

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    1. C'est vraiment fait pour brouiller les pistes.
      Tout n'est pas si noir dans le blanchiment.
      ;-)

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