08 octobre 2022

La Rumeur / Maïmouna Grünewald




Nous sommes installés l'un en face de l'autre dans le salon jaune pour prendre le thé. Le thé, ou
plutôt un ersatz de thé, car pour en avoir un qui ressemble à de l'Earl Grey, je dois soudoyer la
bonne pour qu'elle nous en donne de sa propre consommation. J'en ai honte mais je dois sauver les
apparences. Je ne sais pas sur quelle planète vit Jean-Louis mais il ne voit pas que la théière est
ébréchée, les tapis qui s'effilochent, que l'on mange la plupart des repas des pommes terre glanées
chez le fermier voisin et que l'héritage de sa tante est dilapidé. On ne chauffe plus que deux pièces
dans le château et plus personne ne vient nous voir.
Pourtant cela n'a pas toujours été comme cela. La décoration de mon intérieur a toujours été du
dernier cri, rendant malade de jalousie les ladies des alentours. Je faisais venir les tapisseries et les
tissus de Paris au moins deux fois par an. Pour la belle saison, j'organisais la plus grande Garden
party du comté avec des petits-fours à profusion et du champagne à volonté. Les grands de Wall
Street se battaient pour avoir une invitation et être vus à cet événement.
Jusqu'à cette rumeur fracassante qui du jour au lendemain nous envoya dans un quotidien solitaire
et morne. Nous avons eu beau nous défendre, embaucher un détective privé rien n'y fit. L'opinion
publique était faite avec cette sempiternelle rengaine : « Vous seuls aviez accès au coffre. ». Quelle
idée avait eu Jean-Louis de proposer à la Comtesse de Fribourg de mettre son collier de diamants
verts de Dresde en sécurité dans notre coffre fort ! Quand elle a voulu le récupérer le soir de la fête,
il n'y était plus ! Envolé !
Cela fait des mois que je réfléchis à ce qui a bien pu se produire. Nous avons interrogé tous les
domestiques et la police a dû intervenir, ce qui a mis mal à l'aise l'ensemble de nos invités, cités
dans la presse le lendemain. Je ne dors plus. Je ne sais pas comment nous allons nous sortir de cette
situation. Devrons-nous vendre le château ?
S'il y a bien une personne qui ne se pose pas toutes ces questions c'est Jean-Louis. Depuis cet
incident, il revit. Il a l'air plus détendu, plus rayonnant, il sourit même. Comme si cela l'arrangeait
d'être isolé, sans obligations, à s'occuper toute la journée de ses plantes, sa seule préoccupation
maintenant. C'est louche !
Soudain, j'ai un doute … Cet après-midi, lorsqu'il ira prendre soin de ses roses, je fouillerai dans ses
affaires. On ne sait jamais, si je tombe sur des pierres précieuses. Je retournerai le château et le
jardin d'hiver s'il le faut, mais j'en aurai le cœur net !

 

 

9 commentaires:

  1. Grandeur et décadence joliment contées. Comment réagira-t-elle si elle découvre que son mari est un voleur ? Notre imaginaire poursuit sa quête...

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  2. Ah! le diamant vert de Dresde, un véritable trésor !
    Bien plus célèbre que le « Miracle bleu » , la « Merveille bleue » de Dresde (nom populaire du pont de Loschwitz à Dresde)

    jamadrou

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  3. Une histoire qui tourmente, en effet...

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  4. Quand le doute s'installe...
    Ceci dit, Charles Loquosme me fait savoir qu'on peut faire appel à ses services, si besoin.

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  5. Fini les paillettes et les strass... C'est peut-être seulement à ça que secrètement jean-Louis aspirait...

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  6. tout un roman dont la suite reste ouverte, dans cette histoire passionnante, j'ai pensé à la scène où Sarlett o' Hara tente de faire illusion dans sa robe verte taillée dans un rideau, puis à "la parure" de Maupassant, enfin au mari cupide de "la liste de mes envies" quel sera ici le dénouement ?

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  7. Pas d'inquiétude c'était une faux !

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  8. Si la décoration était du dernier cri, ça pourrait bien être le dernier de Jean-Louis :)

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