14 décembre 2024

Procès / Galet

 


- Madame Navel, racontez-nous ce qui s’est passé le samedi 7 décembre.

- Nous étions dans l’atelier de mon mari. Je posais, comme chaque jour depuis plus d’un mois. J’étais fatiguée de rester assise de longues heures par terre, avec seulement un tapis blanc et rond pour m’isoler du froid du carrelage. Clément est très exigeant quand il peint, il m’accorde très peu de pauses et se met en colère au moindre mouvement. Il se chargeait lui-même de lisser les plis du peignoir orange qu’il me faisait porter sans ceinture. Quand je lui posais une question sur l’avancée de son travail, il répondait qu’il n’était pas encore satisfait du résultat, qu’il n’avait pas réussi à saisir parfaitement l’éclat de ma peau, la douceur juteuse de ma personnalité, et tout un tas d’autres balivernes qui finissaient par m’agacer. Chaque soir il fermait la porte de l’atelier, je n’avais pas l’autorisation de voir l’évolution de la toile. Jusqu’à ce samedi où il m’a annoncé qu’il avait terminé. J’ai eu de la peine à me relever tant j’étais ankylosée, et là j’ai vu... ça ! Je n’en croyais pas mes yeux ! Des heures au ras du sol, à grelotter, pour ÇA ?

- Vous étiez en colère ?

- Il y avait de quoi, non ? M’imposer ces séances pour que je me découvre transformée en orange ? Une demi-orange même. Qu’est-ce qui lui était passé par la tête ? Pourquoi avait-il fait ça ? Quel était le rapport ?

- Et là vous êtes devenue violente !

- Je me suis dit qu’il était devenu fou et moi j’étais folle de rage ! Il m’a affirmé que c’est ainsi qu’il m’avait toujours considérée, comme sa moitié d’orange, qu’à nous deux nous représentions la rondeur parfaite de ce fruit du soleil, et qu’en me représentant ainsi il avait réalisé sa toile la plus parfaite, j’étais sa muse. J’ai eu brusquement envie de lui faire du mal et j’ai saisi le vieux couteau dont il se sert pour gratter sa palette.

- Et vous avez frappé. Vous lui avez tranché l’oreille gauche !

- S’il avait sa moitié d’orange, aucune raison pour que je n’aie pas mon Van Gogh !

4 commentaires:

  1. Ca me rappelle quelque chose, quelqu'un... Pas si aisé d'être muse ! ;-) JB

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  2. alors là je dis bravo car relier Van Gogh à une moitié d'orange il fallait oser et tu l'as fait !

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  3. La vision totalement absconse de l'artiste, tout un poème!

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