07 décembre 2024

EN FIN ! / Galet

 


Ainsi me voici revenu après quatre années de cauchemar… Rien n’a changé, ou presque. Le toit de la grange semble neuf et le silo a été repeint. Les années se sont ajoutées aux jours et d’autres nous ont remplacés ici après que mes parents soient morts de chagrin. Ils semblent prendre grand soin de la ferme, et ils ont de beaux chevaux fringants au poil lustré. C’était le rêve de mon père, mais il n’avait que sa mule Dolly à atteler à la charrette. Elle suffisait à conduire ma mère en ville pour ses courses ou aller à l’église le dimanche, et à moi qui livrais dans le voisinage. Quand il fallait charger des sacs, du matériel ou du bétail, on sortait le vieux camion Ford, parfois poussif et récalcitrant. Mes parents n’était plus très jeunes quand – enfin ! – je suis né, et très tôt j’ai été initié aux travaux agricoles. Je commençais alors à m’approprier avec une immense joie ce qui serait un jour lointain mon héritage.

Soudain j’entends cracher le moteur d’un tracteur… Je reconnais le chant grelotté du Massey Fergusson que Papa avait réussi à acheter d’occasion juste avant mon départ ! Ainsi il est toujours là ! Il sort du hangar, un garçon d’une douzaine d’années le conduit et le stoppe juste avant le chemin sur lequel un chien arrive en jappant. Va-t-il me traiter en étranger ? Mais il passe devant moi sans me prêter la moindre attention. Normal. Le gamin court vers sa mère qui l’appelle depuis le porche avec un sac en papier à la main. Son casse-croûte, sans doute, la mienne faisait pareil.

Profite bien de la vie et des tiens, petit. Dans cinq ans, ton père devra partir combattre en Corée, puis à ton tour tu devras quitter femme et enfants pour patauger dans le bourbier vietnamien. L’un en reviendra meurtri dans sa chair, l’autre dans sa tête, mais vous reviendrez, vivants, dans cette ferme, je le sais.

On dit que les voyages forment la jeunesse, il en est qui la tue. Moi, mon corps s’est éparpillé sous la caresse d’un obus, un jour radieux de juillet 1943 devant Palerme. Mort au Champ d’Honneur, quelle ironie pour un agriculteur ! Depuis mon âme vagabonde cherchait son chemin et la voici au bout de sa quête. Je vais continuer jusqu’à l’érable, derrière la maison. Y a-t-il encore des traces de la cabane que j’y avais construite ? Probablement pas. Je vais m’installer dans son ombre, tout contre son tronc et lentement m’instiller dans cette terre que j’aime tant.

 


 


4 commentaires:

  1. D'une guerre sur l'autre, on ne sait ce qui nous attend encore, la paix est si fragile, jill

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  2. Même vivants, combien sont revenus au pays tels des fantômes dans leur vie. Belle écriture comme d'habitude.

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  3. "Plus jamais ça"...et toujours les mêmes guerres !

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  4. Les drames qui hantent à jamais.

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