07 septembre 2024

COUP DE CŒUR / J.Libert

 


        Quand Eva traversa le salon de cette fermette de campagne que l’agent immobilier lui faisait visiter en vue d’un premier achat, elle fut saisie par l’odeur de poussière. C’était une poussière grise, sale, accumulée au fil des années, immobile, tenace et grasse. Les longues tentures de velours bordeaux sombre montaient la garde de chaque côté des portes fenêtres pour empêcher les rayons du soleil d’éclairer ce qui devait rester secret. Près de l’âtre où ne brûlaient plus les bûches des vieux chênes, deux fauteuils, recouverts d’un damassé vert feuille, avaient dû accueillir bien des dos fatigués. Une commode et une armoire en acajou complétaient ce décor très austère d’un autre temps. Il était clair que rien n’avait bougé  dans cette pièce depuis des lustres.
    
Eva s’approcha d’une des portes fenêtres, écarta les tentures d’un geste ample et vif et ouvrit les battants. Un air frais , lumineux, pénétra dans la pièce.
   
 Sous ses yeux, s’étalait un jardin à la pelouse joliment entretenue ; elle descendait en cascade vers des parterres fleurissant dans un fouillis organisé. Là, s’épanouissaient des cosmos aux tendres couleurs, des ancolies au milieu de fougères, de roses anciennes blanches et roses, de rhododendrons mauves, de camélias joufflus.
   
 Une glycine de plusieurs dizaines d’années, exubérante et folle, courait sur les murs de pierre, au-dessus des portes fenêtres de la fermette et du petit appentis situé à proximité. Ses lourdes grappes commençaient à fleurir emplissant l’air de leur parfum sucré.
   
 Il y avait, là, un enclos de verdure assez intimiste  pour y prendre ses repas sur une table et des bancs de bois encore installés.
   
 Eva découvrait ce jardin avec ravissement, respirant avidement l’odeur fine et puissante qui arrivait , maintenant, dans les coins les plus reculés du salon.
   
 Tout à l’heure, elle voulait prendre les jambes à son cou, s’éloigner de cet endroit qui suintait l’ennui et la tristesse, mais, à cet instant, séduite par la luxuriance extérieure, elle aurait offert ce qu’elle avait de plus précieux pour couler, là, des heures paisibles et lumineuses jusqu’au dernier jour de sa vie.
 

4 commentaires:

  1. L'extérieur est déjà tout un poème, à voir l'intérieur... tout peut se changer ! JB

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  2. Il y a parfois des revirements inéluctables!

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  3. Le plus important est dehors, le reste n'est que détail !

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  4. Une belle ouverture pleine de fraîcheur.

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