05 octobre 2024

Epilogue / J.Libert

 



    « Souviens toi ! Comme nous étions une magnifique paire de double rideaux, au début de notre installation, accrochée à la fenêtre de l’appartement de ce nouveau propriétaire.

     Tu trouvais qu’on nous avait trop éloignés l’un de l’autre. Tu aurais voulu constamment t’envelopper dans mes plis dont tu louais le tomber si gracieux. Tu me complimentais sur la texture soyeuse de mon textile, sur mes coutures invisibles, sur mes finitions délicates, sur mes anneaux fantaisie ornant si joliment ma tête.

     La nuit, on nous rapprochait pour faire l’ombre de la pièce, alors, nous nous frôlions, nous nous caressions sous la complicité du vent de la rue.

    Cela dura plusieurs années, souviens toi ! Moi, j’y croyais vraiment. Nous deux, c’était pour l’éternité !

     Et puis, avec le temps, le soleil et l’humidité, nos couleurs se sont affadies, même toi, ton tissu s’était relâché, on en voyait la trame, mais peu importait. Tu étais tellement pris par la préparation de tes plaidoiries que tu ne voyais rien venir.

     Les choses se sont vraiment dégradées quand tu as voulu défendre ce courtier en Bourse qui travaillait sans carte et qui avait fait perdre de belles sommes à de nombreux clients naïfs et mal renseignés. Tu consultais et reconsultais les livres de droit pénal de la bibliothèque paternelle du propriétaire. Tu ne me voyais plus.

     Alors, j’ai pris à témoin le chat à l’air si paisible. La nuit, avec ses griffes, il me découpait, petit à petit, en lambeaux. J’avais mon plan. J’ai fait en sorte de disparaître discrètement par la fenêtre et me suis envolé aux vents d’automne.

     Aujourd’hui, je ne doute pas que tu aies réussi le plaidoyer de ton client véreux. Nous étions si ressemblants, trop, peut-être. »


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