05 octobre 2024
L'art du camouflage / L'Entille
C’est l’heure où les chats
préparent leur soirée. Un œil sur les alentours, un itinéraire à redécouvrir,
une planque alléchante et des copains pour explorer. Ils attendent l’interstice
d’une fenêtre ou d’une porte entrouverte à moins qu’il y ait par bonheur une
chatière. Cette nuit il seront tous gris qu’importe leur pedigree. C’est à ce
moment-là que je me pelotonne dans le fauteuil à oreillettes si profond, si
déglingué et pourtant si confortable, placé intelligemment au coin de la
bibliothèque et profondément enfoncé que pour le découvrir il faut le chercher.
Depuis des mois je squatte l’angle de mon bureau, depuis que je télétravaille,
sans que quiconque ait reniflé la supercherie. Pour être tranquille vers 18h je
dis à la cantonade que je vais faire un tour pour m’aérer les neurones après
des heures sur l’ordinateur à suivre les cours de la bourse. Je fais claquer la
porte d’entrée et je retourne en catimini me rencogner avec un nouveau livre
dans les mains. C’est là que je m’aère. C’est avec toutes ces aventures, ces
histoires, ces théories nouvelles ou fumeuses que mon monde ouvre ses
frontières. Je deviens un personnage du livre, j’aime, je ris, je m’indigne,
parfois je pleure. Je fais miens les sentiments des protagonistes. Il n’y a pas
de bons ni de méchants, il y a des personnages. C’est comme dans la vie il y a
des gens. Je soupçonne parfois Karl, mon mari, d’avoir découvert ma
mystification. Il n’en a jamais rien dit. Il respecte mon jardin secret sans
essayer d’en enfreindre la frontière. Et parfois j’entends la porte d’entrée
claquer du fond de mon fauteuil et de mon univers du jour. Là, il n'y a plus de
limite à mes explorations.
Pour Lily / Larose
Dans l’atmosphère feutrée d’un appartement
Situé au dernier étage d’un haut building,
Se perd le doux regard d’un chat noir et blanc
Dans l’immensité d’une ville froide et grise.
Seule la trajectoire du soleil illumine
Sa solitude sur le parquet brun ciré
D’une bibliothèque aux volumes anciens.
Chaque jour, attentif, il écoute l’histoire
Écrite pour le distraire d’une monotonie
Qui se répète aussi invariablement
Que la routine de son maître qui l’abandonne.
Pourtant la musique des mots l’emporte
Dans des horizons si lointains, aux parfums
Enivrant d’herbe à chat et de souris grises.
Son esprit s’échappe dans une rêverie
Sur un canapé au tissu chatoyant
Où le matou se prend pour un chat perché
Qui ronronne de plaisir en écoutant
L’histoire d’un persan nommé le Chat Botté.
Epilogue / J.Libert
« Souviens
toi ! Comme nous étions une magnifique paire de double rideaux, au début
de notre installation, accrochée à la fenêtre de l’appartement de ce nouveau
propriétaire.
Détail/ K
C’est un peu triste, cela dure et le parquet ciré va bientôt craquer
Dans le lointain d’une autre pièce une radio est restée allumée
L’insanité cabalistique des cours de la bourse se déverse
Telle une énigme suspendue dans l’air
Le soleil est saisi d’une fatigue orange
Il flotte sur la silhouette stoïque des immeubles gris
L’étagère incomplète perd doucement la mémoire
Elle pleure en silence le tome disparu
Et ses mots dispersés, lourds ou légers, échappés
Le chat ignore tout cela
Curieux d’un détail visible de lui seul
Papotage / Galet
Bonjour, moi c’est D1 (le rideau D,
comme droite, pour que vous compreniez). L’autre, en face, c’est un cousin, G2,
et nous n’avons pas grand-chose en commun si ce n’est la texture et le même
bain de couleur. Il a été accroché là au printemps, après le Grand Ménage,
suite à une erreur du personnel. Bien sûr personne ne s’en est aperçu, mais mon
jumeau G1, sur l’autre fenêtre, doit s’ennuyer ferme. C’est que nous venons du
même coupon, nous sommes frères de lé, oserais-je dire ! Encore un an à
attendre d’être décrochés et dépoussiérés, en gardant l’espoir d’être réunis…
Je ne sais pas ce qu’il en est de D2, mais son pendant ici est un taciturne un
rien snob, qui se contente de contempler la vue, le drapé imperturbable, la
cordelière strictement serrée. Tout juste s’il se relâche le soir.
Avec G1, le moindre filet d’air
était prétexte à un frisson de tissu, nous jouions avec le chat qui se cachait
dans nos plis ou nous escaladait, les jours de folie ! Même lui, du coup,
est triste… Mais heureusement, il me reste fidèle, et nous ne sommes que deux à
en connaître la raison principale : le trou de souris dans l’angle de la
pièce, bien protégé par l’immense bibliothèque ! Sans Minouche, quel
carnage ce serait. Pour l’heure, il surveille le trafic et l’agitation sur les
trottoirs de l’avenue bordée d’immeubles haussmanniens, à deux pas de la
Bourse, et me laisse tranquillement feuilleter le livre qu’il a complaisamment
fait tomber de l’étagère pour moi. Car j’ai le don inexpliqué de savoir lire, et
j’aurais aimé confirmer à Lamartine que, oui, les objets ont une âme, et que
personnellement ce passe-temps m’aide à mieux comprendre certaines discussions
qui ont lieu dans cette pièce un peu à l’écart, certaines confidences
chuchotées, certains secrets livrés. Malheureusement, je ne peux plus en débattre
avec G1, comme l’an dernier, quand la nuit nous rapprochait…
Non, décidément, cet ouvrage-là
ne m’accroche pas du tout. Un essai de Milan Kundera, même s’il s’intitule
« Le rideau », c’est trop dur pour moi. Je soupçonne le chat de se
moquer de moi dans ses choix, il m’avait déjà proposé le « Tomber de
rideau » de Philippe Claudel. Un peu ardu, tout de même. Allez, je laisse
tomber pour aujourd’hui, et ce sera à mettre sur le compte du mistigri, mais il
sait si bien donner le change en se frottant contre les jambes de la femme de
ménage !
Quand je ne suis pas là / La Licorne
Tandis que le chat sort de son sommeil
Pour aller jouer à "un, deux, trois, soleil"
Le rideau me prend mon meilleur roman
Pour lire une histoire au soleil couchant
L'astre dans le ciel termine sa course :
Il dit au chaton : "Je t'ai vu bouger"
Le rideau se ferme devant la Grande Ourse
Et sans bruit le livre va se reposer...
Poussy / Jill Bill
Personne ne croira un chat qui parle
Une tenture qui raconte...
Seul, en semaine, me faut tuer le temps
En garçonnière, certes, confortable,
A regarder le soleil d'Est en Ouest
Avant qu'il ne rentre
Sa bourse vidée d'achat de bouquins.....
Il était une fois, il était une fois...
Repu !!!!!
Moi, j'aimerais aller à la chasse
Aux papillons, mais,
Je suis parqué à l'appartement....soupir !
Chuuut la tenture !! J'entends une clé dans la serrure...
Saaalut mon p'tit Poussy !
Ben, tu boudes, tu te tiens à carreau........