06 avril 2024

REGRETS POSTHUMES / J. Libert

 


    Elle se couvrit le visage. Des larmes amères coulaient entre ses doigts. Brigitte regrettait  d’être arrivée trop tard, trop tard pour tenir la main d son père encore vivant en signe de pardon. Sans ménagement, on l’avait prévenue qu’il avait fait un infarctus. Tout avait été entrepris, sans succès, pour le réanimer.
     En cette fin d’après midi d’été, le soleil tardait à se coucher éclairant  d’un éclat presque surnaturel le drap blanc qui recouvrait le corps déjà refroidi de son père. De la poche de son veston placé sur le dos de la chaise était tombée une enveloppe froissée. Peut être contenait elle un secret ? Brigitte restait là, assise près du lit, dans le fauteuil en simili noir, abasourdie, incrédule, comme sonnée par un départ si brusque.
    Maintenant qu’il était ailleurs, elle aurait voulu lui dire tant de choses à ce père. Il les avait abandonnées, elle et son frère, à l’âge de 8 ans, pour aller vivre son amour, en Allemagne, avec un homme de 15 ans son aîné. Leur mère, décédée quelques années plus tôt, leur avait longtemps caché la véritable raison de son absence. Il n’était revenu qu’une seule fois en France, à l’occasion de la naissance de sa première petite fille mais Brigitte avait refusé de le recevoir
     Aujourd’hui, elle s’en voulait de son immense oubli, d’être passée  à côté d’une réconciliation possible car, après tout, cet homme restait son père et elle l’aimait toujours.
     La chambre de la maison de retraite baignait dans un calme propice à la réflexion, presque au recueillement. De l’autre côté du couloir, la musique d’un poste de radio parvenait à ses oreilles : le concerto de Aranjuez apaisa momentanément  ses larmes ; puis les dernières notes s’éteignirent.
     Brigitte  mit son chapeau, son manteau. D’un dernier regard, elle fit le tour de la chambre et s’apprêta à sortir.
 


4 commentaires:

  1. Qu'il est douloureux d'avoir des regrets... Mieux vaut se débarrasser de sa colère avant qu'il ne soit trop tard.

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  2. Dans chacune de tes phrases, on ressent la tristesse de l'adieu, la nostalgie et les regrets...

    Keremma

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  3. Les occasions manquées et les regrets avec.

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