Pépé aimait lire. Quand je pense à lui, je revois ses grosses lunettes carrées, ses vieux livres, ce réveil qui se repliait dans sa boîte, je me souviens, la boîte était d’un vert émeraude suranné. Je n’ai pas non plus oublié son sens de l’humour, ses blagues, ses sourires, sa tendresse. C’est lui qui m’a appris à faire du patin à roulettes, en bas dans la cour de la cité. Il avait chaussé mes patins devant mes yeux émerveillés. Il avait déjà presque 80 ans.
Pépé était d’un autre siècle. D’un siècle avant le vôtre, d’un siècle avant le mien. Et pourtant, il était moderne et je suis certaine que tous ces changements qui ont jalonné ces dernières décennies l’auraient passionné. Internet l’aurait happé lui qui était avide d’apprendre, de savoir, de découvrir. Il n’avait que le certificat d’études mais il était savant. Il avait appris l’anglais tout seul et l’une de ses gloires était d’avoir, après la guerre, emmené dans son taxi, deux américaines venues se recueillir sur les plages de Normandie.
Pépé était un bon vivant. Il aimait chanter et manger. Aux repas de famille, il finissait par entonner des chansons un tantinet paillardes au grand dam de ma grand-mère. Il aimait la bonne chère, mangeait les huîtres dans une cuillère à soupe, « parce que une à la fois, on n’en profite pas » et était capable d’aller vider son estomac au milieu du repas pour profiter de la suite. Un éclat d’obus reçu pendant Grande Guerre avait réduit la taille de l’organe en question.
Il nous emmenait promener au parc Montsouris, y faire de la balançoire, un tour de manège, donner à manger aux pigeons. J’ai longtemps cru, à cause de lui, que si je parvenais à leur mettre du sel sur la queue je pourrais les attraper. Nous allions aussi au cimetière du Montparnasse sur la tombe de sa mère morte alors qu’il était adolescent et nous ramassions des coccinelles que nous mettions dans une petite boîte en plastique pour les libérer dans l’appartement et faire râler mémé. Il adorait faire râler mémé.
Pépé aimait lire. Il couvrait ses livres d’une feuille de papier fin et transparent qui a jauni avec le temps. J’ai souvent retrouvé, glissés entre les pages, de vieilles photos, des articles de presse.
Pépé aimait lire et quand ses yeux l’en ont empêché, il a choisi de s’arrêter. Il avait 90 ans, était né en 1894, avait traversé deux guerres et avait milité sans relâche pour un monde meilleur, plus égalitaire, plus tolérant.
Ah ben sacré Pépé, un vrai chenapan.
RépondreSupprimerC'est vrai. C'est exactement ce qu'il était ;-)
RépondreSupprimerun bien bel hommage que tu rends à ton grand père !!!
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