Le paradis, avez-vous dit ? /L'entille

 

Vincent B est à l’agonie entouré de sa belle et pieuse famille. Les grands de ce monde attendent dans l’antichambre que celui qui les a arrosés, anobli, enrichi veuille bien s’en aller. La note est lourde pour tous ses bienfaits, ses valises, ses passe-droits, ses voyages, ses yachts, ses villas, etc… Ils n’en finissent plus de payer ! Ce pirate des affaires était un requin. Les intérêts grossissent chaque mois. Certains d’entre eux ont fini par rendre les armes et leur âme. Ils l’attendent déjà en haut peut-être. Enfin si là-haut existe ! Mais pour Vincent aucun doute.

Enfin, l’évêque à son chevet depuis une semaine, sort de la pièce dans un relent de médicament, de renfermé, de vieux que l’odeur des lys n’a pas le pouvoir de cacher. Il annonce les mains croisées sur un ventre rebondi que la soutane n’arrive plus à contenir :

-          Mes frères, mes amis, j’ai la triste tâche de vous annoncer que notre cher Vincent vient de nous quitter. Sa veuve, ses enfants, petits-enfants, arrières petits-enfants, vous demandent de prier pour le salut de son âme. Ce fût un fidèle parmi les fidèles et je ne doute pas que Notre Seigneur l’accueille auprès de lui.

En disant cela, l’homme d’église égrotant montre un étrange soulagement. Est-ce dû au fait qu’il va enfin pouvoir rentrer à l’évêché retrouver sa petite nièce et la cuisine de sa bonne. On ne sait pas laquelle lui a le plus manqué ? Ou bien est-ce un soulagement plus personnel du genre dossiers gênants ?

Pendant ce temps, l’âme de Vincent est arrivée aux portes du paradis. Il toque à la grande porte comme on le lui a dit à l’église. Lui aussi est soulagé, il va enfin pouvoir se reposer, pourvu que ses débiteurs et affidés partis avant lui ne soient pas ici.

La fenêtre située dans la porte, celle qu’on appelle Judas, s’ouvre. Une voix demande :

-          Qui es-tu ?  D’où viens-tu ? Que veux-tu ?

Ah ça, il ne s’y attendait pas. Dans le monde d’en bas, personne n’oserait l’interpeler de manière aussi cavalière. Enfin c’est Dieu quand même !

-          Je suis Vincent B, je viens de la terre et je veux entrer au paradis.

-          Vincent B dis-tu ?

-          Heu, oui. Vincent n’est plus si serein. Le ton n’est pas très engageant.

-          Vincent B ? Celui qui achète des journaux ? Celui qui a racheté Canal + ? Demande Dieu en le montrant du doigt.

-          Heu oui, c’est moi.

-          Et, les gars, y a votre patron qui vient d’arriver.

Les  Guignols de l’info accourent à la porte.

-          Alors les gars qu’est-ce qu’on fait de lui, demande Dieu ?

-         On l’a déjà condamné par contumace. Ce jugement est sans appel. S’il veut rester ici, il devra payer sa dette.

-          Tu as entendu Vincent B ? Que choisis-tu ?

-          Euh, dit-il hésitant. Je veux rester au paradis.

Humoristes, chansonniers, déconneurs en tous genres, ils sont très nombreux là-haut. Chacun y va de sa caricature, de son pamphlet. Vincent a droit à des séances spéciales Guignols à son effigie, juste pour lui et sur lui. Un genre de reconditionnement intensif et pour les siècles des siècles. Amen !

Pas sûr qu’il n’eût pas préféré l’enfer en fin de compte.