03 février 2024

En héritage/J.Libert




 
Le regard tourné vers la fenêtre de sa chambre d’hôtel, elle s’imagine au bord de la piscine dans son nouveau maillot de bain, les hanches et la poitrine parfaitement moulées. Des regards se tournent à son passage. Elle se sent belle, désirable et s’arrange pour prolonger cette sensation  de bien être et de plaisir.
   
    Toute jeune, Nadia vient d’avoir 20 ans et prépare une licence d’Anglais.
 
    On pourrait croire qu’elle est venue à Londres pour parfaire ses études. Mais non! En ce matin d’automne, elle se réveille dans une petite chambre d’hôtel Londonien à proximité de l’établissement hospitalier dans lequel elle doit rencontrer le chirurgien obstétricien qu’on lui a recommandé. Nadia est enceinte de 6 semaines.
 
    On est en1975 et, en France, la loi sur l’interruption volontaire de grossesse n’a pas encore été votée, encore moins adoptée.
 
    En d’autres circonstances, Nadia aurait volontiers gardé cet enfant à naître mais son ami de l’époque, déjà marié, refuse cette grossesse adultérine. Ils se séparent alors, lui laissant en héritage cette promesse de vie qui tourne bientôt au cauchemar. Elle sait qu’elle n’aura pas le courage d’affronter les regards de son entourage.
 
    La libération des mœurs n’est pas totale en ce dernier quart du vingtième siècle et, surtout, la morale doit rester sauve.
 
    Il n’est plus temps de tergiverser. En 15 jours, il lui faut prendre des décisions matérielles pour le voyage et entrer en clinique
 
    La veille de son intervention, elle est descendue au bar de l’hôtel. Elle s’est accordée un jus de fruits. Longtemps, elle est restée les yeux fixés sur son verre au liquide coloré, l’a tourné, l’a retourné entre ses doigts graciles au rythme de sa rumination intérieure, terriblement angoissée mais déterminée.
 
    Et ce matin, Nadia n’a pas beaucoup dormi. Elle a essayé de lire mais n’a pas pu se concentrer. Derrière la fenêtre, les lampadaires éclairent une aube grise et brumeuse.
 
    Dans la rue, en contrebas, les poubelles claquent sur les trottoirs manipulées par des éboueurs pas encore bien réveillés.

3 commentaires:

  1. une époque pas si facile pour les filles...on a toutes connu et soutenu une amie dans ce cas !

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  2. La solitude à son plus haut point. Hélas.

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  3. Aux Nadia et à toutes les femmes confrontées à des choix douloureux …

    Keremma

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