17 septembre 2022

Spirale / margi

 

 


… je dois anormalement lever les pieds. Je marche dans un océan de coton. 

Le bas de mon pantalon est trempé et mes oreilles sont gelées. L’air froid exhale une odeur de terre humide. Je suis à bout de souffle. Les raquettes à mes pieds ralentissent ma progression.

- Chéri attend, ne va pas si vite !

Je me retourne.

Qui était cette femme ?

- Papa, j’chuis fatigué. Quant’ es’qu’on arrive ?

C’était un véritable cauchemar, ma tête allait exploser, Que faisais-je dans une forêt, des raquettes de neige aux pieds avec une femme et un marmot à la traîne!

Je fouille fébrilement toutes mes poches à la recherche de l’objet magique qui allait rapidement mettre fin à cette mascarade.

- Que cherches-tu, chéri ?

 Mon portable « pétasse » pour appeler mon avocat, pensais-je, avec une ironie non feinte.

- Où ai-je pu bien mettre ce foutu téléphone, maugrée-je ?

- Mais voyons, mon chéri, tu n’en as jamais eu. Tu l’as toujours eu horreur !

Je ne réponds rien, et préfère presser le pas.

D’ailleurs je n’avais rien à répondre puisque j’allais me réveiller.

Aussitôt à l’hôtel, je prendrai une douche bien chaude, et ce mauvais rêve ne sera plus qu’un mauvais souvenir. 

-Papa, on arrive, j’vois le toit de la maison de mamy !

Mon cœur fait un bond lorsque j’aperçois cette masure sans noblesse, qui ne ressemble en rien à l’hôtel où une chambre m’attend. L’horreur est à son comble, lorsque je passe le seuil de la porte et que dans la pénombre, j'aperçois le minable mobilier. Comment peut-on vivre au vingt et unième siècle dans un tel dénuement. Tout ça ne me ressemble pas.

L’odeur de la cheminée me rappelle néanmoins la maison de mon enfance, éloignée de la grande ville qui m’attirait déjà. Ceci me ramène au jour où j’annonce à mes parents abasourdis que j’ai trouvé un emploi dans une fonderie, qui paye bien mieux que l’élevage des chèvres. Je revois encore, deux grosses larmes, couler sur les joues de mon père. C’était la dernière fois que je retournais à la bergerie familiale.

 

- Il fait froid, je vais aller couper du bois m’écriais-je à cette femme qui avait déjà pris place devant la vielle paillasse.

- Papa, j’peux v’nir avec toi ?

- Non ! Toi, tu restes là et tu aides ta mère.

J'avais honte en écoutant ces mots qui sonnaient tellement faux !

Je rechausse mes raquettes, ferme la porte et suis enfin seul sur l’unique chemin encore visible, malgré l’épaisseur de la neige qui ne cesse de tomber.

Je marche depuis ce qui me semble être une éternité. Après s'être allongée indéfiniment mon ombre avait disparu depuis longtemps déjà. La nuit a pris ses pénates. Aucune lumière n’annonce un retour possible vers le monde civilisé, celui que je vais rejoindre dès mon réveil. Exténué, je m’allonge sur le tronc d'un vieux chêne déraciné, je m'endors doucement, impossible de résister…

 

… J’ouvre les yeux, tout est blanc autour de moi. La lumière me fait souffrir. Où suis-je ? Quelle heure est-il ?

Un homme en blanc est penché sur moi, Il me sourit. Des bribes de paroles, presque inaudibles me parviennent de très loin. Il semble s’adresser à moi.

-…Hôpital… Sept heures du matin…Une femme et son fils vous ont trouvé endormi sur un banc … parc Montsouris… deux vielles raquettes de tennis ficelées autour des pieds… que mort… hypothermie… urgence… cœur…

Ces mots, à peines prononcés, s’estompent à nouveau. Des flocons de neige dansent devant mes yeux…      

…Je dois anormalement lever les pieds. Je marche déjà dans un océan de coton.

 

Ce qui pourrait être une lettre est bien plus, c’est un cri. Un cri enfermé dans une bouteille qu'un océan hypothétique apportera peut-être à tes pieds. Qui que tu sois, tu y liras ma détresse, mais tu ne pourras rien.

Je suis nu de l'autre coté du miroir et j'ai froid. La  pièce  dans  laquelle je me  trouve  est  toute  blanche. Et, comme si   ma  souffrance  ne  suffisait   pas,  au   plafond,  une lumière qui ne s'éteint jamais, écrase les ombres sur lesquelles mes yeux pourraient trouver le repos. Rien qui puisse accrocher mon regard. Seulement du blanc.

Un corps que je peux toucher et sentir comme seul témoins de mon existence. Est-ce une preuve suffisante pour me prouver que je suis encore vivant ?

Une chose est sûre : c'est ici que tout bascule. Un no man's land où le cauchemar rejoint la réalité... Enfin, une certaine réalité peut-être.

Je ne possède rien de tangible. Mon cœur bat comme s'il voulait sortir de ce corps devenu trop étroit. Je fouille dans ma mémoire. Je cherche un fragment de souvenir, une minuscule preuve de mon existence passée, rien, que du blanc. Je sais pourtant que je suis parfois ailleurs. Dans une autre vie ? Dans un autre univers ? Je suis l'acteur d'un film sans fin comme celui qu'un projectionniste fou passerait en boucle sur un écran blanc. Et  je suis à l'entracte, impuissant, j'attends mon entrée en scène qui ne viendra jamais.

Ca y est, je me souviens, tout est blanc, il fait froid, je marche dans la neige...

Noooon. Il revient. L’homme en blanc traverse à nouveau le mur; il se dirige vers moi. Il va encore m'injecter ce produit... Je n'aurai pas encore le temps d’écrire sur mon carnet mental, personne ne saura jamais... Mes mains touchent le dôme dans lequel je suis prisonnier. Je suis arrivé au bout. Il me faut faire demi-tour.

… je dois anormalement lever les pieds. Je marche dans un océan de coton…

5 commentaires:

  1. Voilà qui t'a inspiré ! Atmosphère incroyablement déstabilisante, pertes de repères, on s'accroche mais ça ne tient pas, et on est réduit à des hypothèses, sans réellement trancher. Vraiment bien joué !

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  2. D'habitude c'est moi qui écris des textes plus 'longs" que les collègues... cette fois je suis battue à plate couture ! ;) (Katrina Franklyn)

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