Le naufrage / L'Entille

 

Une semaine comme les autres se dit l’horloger en fermant sa boutique ce samedi soir. Ni plus, ni moins que l’ordinaire d’une boutique vieillissante dans un centre-ville qui se meurt. Au jeu du qui perd gagne, il n’avait pas tiré le bon numéro. Il avait reçu la boutique de son père en héritage. Cette boutique fut florissante il y a trente ans. Hélas, les zones commerciales et les téléphones portables étaient passés par là. De montres au poignet, il n’y en avait plus que de celles qu’on ne trouvait pas ici faute d’acheteurs à la bourse bien pleine. 

En tournant la clef dans la serrure, il fut attiré par un môme qui jouait dans une flaque d’eau. Il avait beaucoup plu dans l’après-midi, la rue en gardait les traces. Un morceau de polystyrène faisait office d’objet flottant non identifié.

-          Que fais-tu gamin ? lui demande-t-il.

-      Ben tu vois pas, je suis le capitaine de ce vaisseau. Répond le garçon sérieusement. Je le ramène au port, on a essuyé une tempête et on a démâté.

-          Oui, je vois bien. Il est encore loin ce port ?

-          Il se trouve sur une île secrète au large parce que c’est un bateau pirate.

-          Mais où est passé l’équipage ?

-          Dans la tempête, ils sont tous passés par-dessus bord.

-       C’est un grand drame. Ça ne va pas être facile de diriger ton navire seul. Veux-tu que je t’aide ?

-          Ce serait sympa, mais qu’est-ce que tu connais à la marine ?

-          Pas grand-chose, c’est vrai, mais je peux être ton mousse.

-          Tope-là ! Si tu peux trouver des morceaux de bois pour faire des mâts et de la toile pour les voiles, on y arrivera.

-          D’ac, j’y vais.

L’horloger retourna dans sa boutique et chercha dans ses outils ceux qui pourraient remplir ces rôles. Les chiffons, il y en avait bien assez et de toutes les couleurs. Mais pour un bateau pirate le noir s’imposait.

De retour, l’homme et l’enfant se mirent au travail. Très vite le bateau eut à nouveau fière allure et s’en alla voguer sur la flaque en attendant la pleine mer.

-        Merci, dit le gamin à son mousse. Tu m’as bien aidé. Maintenant je dois y aller, maman m’attend pour manger.

Et il partit son bateau à la main et un ballon au pied. Il portait un maillot de l’équipe de France.

L’horloger enfourcha son vélo. Au premier tour de roue, son pardessus se prit dans les rayons.

-          P____ de paletot !

Après avoir dégagé le pan du vêtement, il s'en alla en sifflotant. Sa rencontre avec l’enfant avait embelli sa fin de semaine.