SUR L'HERBE DES JOURS
Ils sont là, les corbeaux, les corneilles noirs comme la mémoire des jours pleins.
Ils ne crient pas
Ils ne chantent pas
Ils inspectent.
Leur regard est celui du silence qui sait.
Ils ne viennent pas mendier
Ils viennent ramasser.
Sur l'herbe souillée de frites
De miettes
De papiers froissés
Ils avancent comme des ombres en mission.
Leur bec n'est pas un outil de faim
C'est un balai
Une pince
Une réprimande.
Ils ne mangent pas
Ils nettoient.
Et nous les festoyeurs distraits
Nous avons quitté la scène sans saluer
Laissant derrière nous les restes d'un banquet sans gratitude.
Les corneilles elles
Elles restent.
Elles ne jugent pas avec des mots
Mais avec leur présence.
Elles disent :
《 Regarde ce que tu laisses derrière toi.》
Elles disent :
《 Chaque souillure est une mémoire.》
Elles disent :
《 Nous sommes les gardiens de ce que tu oublies.
Leur vol est lent presque cérémoniel.
Elles tournent autour de nos oublis
Comme des prêtresses d'un culte ancien
Celui du respect pour ce qui fut vivant
Pour ce qui fut offert
Pour ce qui aurait pu nourrir autrement.
Et dans leur bec les déchets deviennent des reliques
Non pas des gourmandises
Mais des preuves.
Des preuves que nous avons trop
Que nous jetons trop
Que nous oublions trop vite.
La *barbouille sur l'herbe n'est pas une tache
C'est une signature.
Celle de notre passage sans égard
Celle de notre abondance sans conscience .
Et les corneilles dans ce ballet discret
Viennent effacer ce que nous avons écrit sans penser.
Elles sont les poétesses du rébut
Les archivistes du déchet
Les prophètes du trop-plein.
Elles ne réclament rien
Elles rappellent tout.
Et moi assise dans ce champs de pâquerettes piétinées
Je les regarde comme on regarde un miroir.
Je vois dans leur bec maculé
Le reflet de mes propres oublis.
Je vois dans leur démarche
La sagesse d'un monde qui ne gaspille rien.
Et je me dis que peut-être
Le vrai luxe n'est pas de posséder
Mais de respecter.
Que le vrai festin est celui qui ne laisse pas de détritus
Celui qui honore chaque miette
Chaque instant
Chaque vie.

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