06 décembre 2025

Fabliau du Renard, des deux Corbeaux et du champ trompeur/ Lothar

 Fabliau du Renard, des deux Corbeaux et du Champ Trompeur






Il était une fois, une fois, un beau renard futé, affûté, Fauntleroy Fox, qui vivait dans un vallon tranquille du Masschussets. Là-bas, il était maître d’un grand champ de maïs dont l’éclat respirait tant la santé, en brillant d’un jaune si vif, qu’il trompera le soleil lui-même. Fauntleroy Fox y tenait comme à la prunelle de ses yeux, car pour lui ce champ représentait fieffée fierté et force richesse.

Un jour, Crawford Crow, corvidé anglophone aux plumes d’encre, qui cherchait une place d’épouvantail, après mults prières du renard, fut embauché pour surveiller les lieux. Fauntleroy Fox, sourire fineau et queue en panache, lui dit : « Garde ce champ comme s’il était ton nid. Nul intrus ne doit y toucher. »

Crawford Crow promit. Mais voilà qu’apparu Cousin Croa, son cousin venu de France. Il avait le regard vif et un croassement roulant comme celui d’un galet filant dans la Sudbury River.

Une fois arrivé, comme il n’était pas goujat, il se gava de Welch’s Concord grape jelly, gelée de raisins de la bonne ville de Concord, justement. Gelée qui enchante les papilles et barbouille les bouilles. Bref … « Mon cher Cuz» dit Cousin Croa, « ton champ sent la poudre plus que la terre. Regarde ces feuilles sans insectes, et cette terre trop pâle. Ce maïs ne vit pas : il obéit. »

À ces mots, Crawford Crow observa, perplexe. Dans le grand champ rien ne bougeait. Pas un bourdonnement, pas une fourmi. Le silence d’un banquet où personne n’a vraiment faim.

« On m’a payé pour protéger ce lieu, » protesta Crawford Crow.
« Un lieu ne vaut rien s’il n’a plus de vie, » répondit Cousin Croa.

Les deux corbeaux s’envolèrent alors vers Fauntleroy Fox. Ils le trouvèrent assis au bord de son champ, rêvassant, admirant ses rangées impeccables.
« Maître Fox, » dirent-ils de concert, « ton maïs n’est pas un champ, mais un miroir peint. Il nourrit plus la solitude que la terre. Nous ne garderons jamais au grand jamais des épis sans âme. »

Fauntleroy Fox se redressa, piqué par leurs paroles. Les deux oiseaux insistèrent, expliquant qu’un champ vivant attire les insectes, nourrit les bêtes, parfume l’air, chante avec le vent. Un champ figé, chargé d’engrais et de poudre, ne chante rien, sinon l’illusion.

Le renard réfléchit longtemps. Puis, dans un souffle, il comprit qu’il avait cultivé une beauté fausse et fragile.

Alors il choisit la voie la plus lente, mais la seule sincère: il rendit la terre à elle-même. Le maïs artificiel fut laissé à son sort, et les saisons firent leur œuvre. Bientôt les herbes revinrent, puis les fleurs, puis le bourdonnement d’un monde minuscule mais essentiel.

Crawford Crow et Cousin Croa, joyeux de cette renaissance, acceptèrent de protéger le nouveau champ. Ils veillaient désormais non sur des épis vides, mais sur une terre qui respirait.

Ainsi dit le fabliau :
Qui parfume ses champs de promesses chimiques récolte un silence amer ; et
Qui les confie au vent et au temps récolte la vie …



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