22 novembre 2025

Alicia/Lilou

 Alicia






Alicia était là, comme chaque jour depuis une semaine, après l’école. Il avait plu, une pluie orageuse qui avait laissé quelques flaques amusant les enfants, surtout les plus petits. Autour de lui, les passants vaquaient à leurs occupations : certains, pressés, faisaient fi des trottoirs glissants ; d’autres prenaient leur temps et musardaient, leur cabas à la main, contemplant les vitrines qui, à cette heure du jour, commençaient à s’allumer.

Lui ne voyait rien. Il était pris par la musique ; il la vivait au point d’oublier qu’il était installé devant un bistrot, qu’il faisait la manche pour gagner trois sous. Il jouait, jouait, jouait, malgré l’humidité qui avait imbibé son blouson, malgré ce piano droit qui n’avait rien à voir avec son piano de concert.

Ah ! les concerts… Il se souvenait de son rêve. Il s’était vu à Pleyel, à Berlin ou au Carnegie Hall. Il se souvenait de Diane, violoniste avec qui il voulait monter un duo. En attendant, ils s’étaient mariés, et très vite Alicia était venue au monde, un bébé qu’il adorait. Il se promettait un avenir de concertiste brillant. Mais un stupide accident, un bras brisé et le pouce broyé avaient mis fin à sa carrière.

Il s’imposa une rééducation longue et difficile pour récupérer de la dextérité, rééducation durant laquelle Diane, lasse d’attendre, le quitta, emmenant Alicia avec elle. Elle s’installa en Suisse, auprès de ses parents, pendant qu’elle parcourait le monde avec les plus prestigieux orchestres.

Malgré son courage, jamais il ne put revenir à un niveau international.
Maintenant, il vivotait de quelques cours de musique et, pour assurer un petit complément, il était là le soir, essayant de faire connaître la musique — la grande musique.

Et puis un jour, Diane, revenue s’installer dans cette grande ville, l’avait aperçu. Elle en avait été bouleversée, et les remords s’étaient réveillés. Elle avait alors confié à Alicia que cet homme était son père. Bien sûr, elle lui avait raconté quelques histoires à son propos, mais les mots étaient un peu évasifs. Diane ne put empêcher sa fille de se rendre chaque jour rencontrer ce père qu’elle ne connaissait pas encore.

Voilà pourquoi Alicia, calée contre le tronc d’un arbre, venait l’écouter, l’entendre, subjuguée par ses mains qui couraient, qui caressaient les touches comme un souffle de brise.
Elle sait qu’il la voit. Sait-il qui elle est ? Osera-t-elle lui parler ? Moi, je crois que oui.


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