28 juin 2025

LE MANOIR DES REFLETS TROMPEURS / Marie Sylvie

 






Les douves du manoir étaient d'un calme presque cynique. Le reflet de l'édifice dans l'eau semblait dire la vérité mais quelque chose en lui tremblait comme une image refusant de s'avouer mensongère. C'est là que tout avait commencé, deux ans après le décès de ma mère, et plus de trente ans après ma fuite de cette famille morcelée par les secrets. 

Je m'appelais Sylvie, et j'étais, à ce que l'on disait, le seule héritière légitime, avec Samuel le jumeau de feu Stéphane. Mais à mesure que les convocations arrivaient, des fantômes du passé se présentèrent bien vivant, bien fringants ... trop .

D'abord Véronique, dont j'avais vu l'effondrement sanglants sous les coups de fusil de notre père. Elle réapparut sans une cicatrice. Sa voix était la même, mais son regard ... trop sûr, trop bien rôdé. Puis Stéphane lui-même,  prétendument décédé dans un accident de poids lourds à la frontière Slovène, fit irruption, barbe taillée, sourire nerveux, et accompagné de documents officiels curieusement récents.
Ils parlaient tous de coïncidences, de rémissions miraculeuses, de fugues qui avaient durées des décennies. Mais moi, j'entendais le mot Caprice résonner dans ma tête comme le code d'un complot ourdi dans l'ombre. Caprice d'un clan désuni où plus personne ne connaissait le visage de l'autre, où les souvenirs étaient des puzzles sans bords ni modèle.

Samuel lui-même, le plus loyal autrefois, semblait troublé. 《 Et si ce n'était pas notre sœur ?》 m'avait-il glissé un soir après avoir surpris une conversation téléphonique de " Véronique " dans une langue qu'il ne connaissait pas. Le doute une fois semé grandit comme un lierre sur la pierre froide de la vérité. 

Je commençai à enquêter. Vieilles photos, empreintes,  lettres, certificats ... Rien ne collait tout à fait. Les " revenants " savaient ce qu'il fallait dire. Ils récitaient l'histoire familiale comme une pièce apprise, là où seuls les vrais meurtris savent improviser avec le chaos. 

Et alors, dans une trappe cachée sous les escaliers nord du manoir, je tombai sur une malle. Elle contenait les carnets de Carole, les vrais. Ceux qui racontaient nos pactes, nos douleurs, nos rires enfouis. Je les connaissais pour les avoir lus bien avant. Mais surtout, au fond de cette malle : un passeport étranger, avec la photographie d'un homme  ... celui qui se faisait passer pour Stéphane. 

Ce n'était plus une histoire d'héritage.

C'était un théâtre d'ombres où l'identité se vendait, se volait, se maquillait pour détourner la dernière chose qui me restait : mon passé. 

 

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