21 juin 2025

LES VALISES DE CAROLE : UN HÉRITAGE SILENCIEUX / Marie Sylvie

 

 

LES VALISES DE CAROLE : 
        UN HÉRITAGE SILENCIEUX 


Cette photographie de valises éveille en moi des souvenirs poignants, indissociablement liés à Carole ma sœur.

Je revois le jour où, après son appendicectomie, je devais porter son cartable, en plus du mien, pour qu'elle puisse retourner au collège, préférant l'établissement scolaire au confinement du foyer familial.

Ces valises sont également les témoins silencieux de drames plus profonds. Je me souviens de sa tentative de suicide à Pau, où elle sauta du deuxième étage de sa maison d'accueil, se fracturant la cheville. Mon père et moi avons dû alors entreprendre un voyage pour la ramener. Les correspondances de train entre Pau et Le Mans étant courtes, mon père portait Carole, immobilisée par son plâtre, tandis que je prenais en charge ses valises déjà si lourdes de ce qu'elles représentaient .

Une autre fois encore, en Savoie,  elle a tenté de mettre fin à ses jours en se coupant les veines. De nouveau, il a fallu se rendre à sa maison d'accueil pour la récupérer. Cette fois,  j'étais accompagnée de ma mère, et c'est encore moi qui ai porté ses valises. 

Si j'ai fait le choix répété de porter les valises de Carole, c'est parce que je connaissais le motif véritable de ses tentatives de suicide, un secret familial lourd et douloureux, juste entre elle et moi. Mon calvaire a duré au moins quatre ans, de mes six à mes dix ans. Carole , née le 21 Octobre 1963 à Metz , qui avait trois ans de plus que moi, témoin de ma détresse, de mes pleurs et de mes blessures causées par notre grand-père maternel pédophile - dans les bras duquel ma propre mère me jetait  - ne supportait plus cette situation intolérable. Dans un geste de protection désespéré, elle a tenté d'interrompre ses agissements : Son intention n'était pas de tuer le grand-père mais de le faire dormir pour qu'il cesse de me faire du mal. Elle a donc tenté de lui faire ingérer des somnifères, soigneusement pilés et mélangés à son café arrosé. Cependant, le grand-père probablement affaibli par l'âge, l'alcool et le tabac, ne s'est jamais réveillé. Carole, malgré les circonstances, a porté le fardeau de cette mort, se culpabilisant profondément. 

C'est ainsi que Carole m'a libérée. Aujourd'hui, en contemplant ces valises, je ressens le besoin viscéral de rendre hommage à Carole. Après d'innombrables tentatives de suicide, elle a finalement trouvé la paix. Et depuis ce jour, ces valises demeurent tel un mémorial silencieux de son sacrifice et de notre histoire. 


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